Dix-neuf ans. J’avais dix-neuf ans lorsque je l’ai rencontré. Je n’étais alors pas ce que je suis maintenant; j’étais une jeune fille sage, sans histoires, aimant les plaisirs simples de la vie; une jeune fille bien et tout ce qu’il y a de plus normale. Je n’avais pas encore subit l’influence (néfaste?) de Peter.
Ce qui m’attira en lui à l’époque, je ne le su jamais. Peter n’étais pas le genre de garçon que je fréquentais en temps normal. Je me tournais plutôt vers les garçons discrets, calmes, un brin fleur bleue et intellectuels; et le moins qu’on puisse dire est que Peter en était tout le contraire. Arrogant, magouilleur, macho, telle était l’image que j’avais de lui. J’ai repoussé ses avances pendant plusieurs semaines avant de finir par lui céder; je crois que son côté « bad boy » avait finit par m’attirer et par m’intriguer.

Après quelques semaines passées avec lui, je commençais à me rendre compte que je l’avais trop rapidement jugé; il n’était pas comme je le croyais. Bien sûr, magouilleur il l’était toujours, mais son côté arrogant et son côté macho avaient fini par s’estomper pour laisser place à un côté tendre et protecteur. Le vrai Peter était différent de ce que je pensais, et je finis par tomber amoureuse de lui, moi qui m’étais jurée que ça n’arriverait jamais quelques semaines plus tôt. Mais Peter avait beau être une véritable crème avec moi, il n’en était pas moins un dealer de la pire espèce. Une grande partie de la cocaïne et de l’héroïne qui circulait en ville était vendue par ses soins; il était parmi les plus gros vendeurs de Brisbane. Bien sûr, ça je ne l’appris que quelques mois plus tard, après avoir emménagé avec lui.

Après six mois d’idylle, il me proposa d’emménager avec lui, dans son appartement de Brighton. Trop amoureuse pour être effrayée par la réputation de ce quartier, j’acceptais avec joie sa proposition, au grand dam de mes parents qui le détestaient cordialement, sentant qu’il dégageait quelque chose de louche. Et je me rendis compte, au bout de quelques jours passés avec lui, que mes parents n’avaient peut-être pas tort.
Des gens assez louches ont commencé à venir régulièrement dans notre appartement, tard le soir, lorsque Peter pensait que j’étais endormie. Je le voyais glisser des petits sachets ou des petites boites dans les mains de ses visiteurs, et cacher dans ses poches ce qui ressemblait à des liasses de billets. Je compris rapidement ce qu’il se passait; j’étais peut-être amoureuse, mais je n’étais pas stupide. Ma sœur était une ex-droguée et je connaissais la couleur et le parfum de la drogue. Combien de fois avais-je vu Jade raide défoncée, des pétards à la main ou de la poudre blanche sur le nez? Je ne pouvais les compter. Je finis par lui dire que j’avais compris son petit manège et lui demandais s’il faisait partie des Baby Avenues. Aussi bizarre que cela puisse paraître, sa réponse ne me terrifia pas; étais-je trop amoureuse? Je ne saurais le dire, mais le fait est que je me décidais à l’accepter, et réussis à cohabiter avec cette autre facette de Peter. Je finis même par connaître ses clients réguliers et son fournisseur.



Ce qui devait arriver arriva. A force de côtoyer le gang des Baby Avenues par l’intermédiaire de Peter, je finis par me joindre à leurs petites magouilles. Je ne sais plus comment et pourquoi cela arriva, mais le fait est que ça arriva. A force de le voir récolter de grosses liasses de billets après ses « fructueux échanges » comme il les appelait, je finis par être tentée par l’appât du gain. Cela semblait tellement facile, tellement simple de se faire de l’argent de cette manière, que je fus vite tentée de l’imiter. La tentation était tellement forte que je finis par y céder. C’est ainsi que je finis par rejoindre le gang des Baby Avenues et que ce qu’il restait de mon ancien moi parti en fumée. Envolée la petite fille sage et innocente, et place à la sulfureuse Riley, redoutable vendeuse de drogue. L’appât du gain et les Baby Avenues anéantirent celle que j’étais encore à peine un an avant. Mes parents qui ne savaient pas, et ne savent toujours pas, les activités que je pratiquaient, attribuèrent ce changement de caractère à Peter (et il est vrai que c’était en partie à lui que je le devais), et ne le détestèrent que plus encore. Ils me supplièrent de le quitter, jugeant qu’il avait une trop mauvaise influence sur moi. Depuis lors, les relations que j’entretiens avec eux sont des plus compliquées; ils n’ont jamais accepté que j’aie quitté mes études pour aller vivre avec Peter et que je m’obstine à ne pas vouloir rompre. Mais je me contre fichais de ce que mes parents pensaient, tout ce qui comptait pour moi était Peter, et tout l’argent que nous nous faisions en dealant notre drogue.

Après deux ans passés avec lui et dans le gang des Baby Avenues, j’étais totalement méconnaissable. Qui aurait pu deviner la parfaite jeune fille que j’avais été avant? Personne, même pas ceux qui me connaissaient depuis toujours. Ma famille et mes amis ne me reconnaissaient pas. Ma sœur Jade était la seule un tant soit peu épargnée, puisqu’elle n’avait l’occasion de me voir que lors de ses permissions. Mais ça ne l’empêcha pas de noter mon changement de comportement. Changement de comportement qu’elle ne pouvait attribuer à Peter, puisqu’elle ne le connut jamais. A chaque fois qu’elle revenait à Brisbane, elle n’avait jamais l’occasion de le voir, et ne l’eut jamais, pas même le jour du drame. Le drame qui m’ôta Peter à tout jamais. Le 13 janvier 2008 il fut fusillé par les Blood Panthers en pleine rue, sous mes yeux.



Enceinte. Ce mot me terrifiais. Lorsque je l’entendis sortir de la bouche de mon médecin, je fus terrifiée. Enceinte, à vingt et un ans, alors que mon petit ami venait de se faire assassiner et que mes seuls revenus étaient ceux de la drogue que je dealais? Non, ça m’étais impossible de garder cet enfant, impossible. Je ne me voyais pas être mère célibataire, et risquer la vie de mon enfant à cause de mes activités. Je décidais donc de me faire avorter au Royal Brisbane Hospital, à l’insu de mes proches et de ma famille. Personne hormis les médecins et moi-même ne sut jamais que j’étais enceinte. Je continuais donc mon petit « train train » de dealeuse comme si de rien n’était.

Mes parents ne surent jamais pour la mort de Peter. Je leur dis qu’il m’avait quitté pour partir en Europe, ou un autre baratin dans ce genre. Ils me crurent et en furent soulagés. Seule Jade connaissait la vérité sur sa mort. Et c’est de cette manière qu’elle appris que je faisais partie des Baby Avenues. A l’époque du drame elle était en permission à Brisbane, et fut la première, et la seule, à qui j’annonçais la mort de Peter. Préférant ne pas me laisser toute seule avec ma peine dans mon appartement sordide, elle démissionna de l’armée pour venir habiter avec moi… Et rejoignit les Baby Avenues, préférant avoir l’œil sur moi, et retombant en même temps dans la drogue.

C’est à cette époque je pris le boulot de serveuse au Stein Der Weisen, voulant donner le change auprès de mes parents. Je voulais qu’ils arrêtent de s’inquiéter pour moi et décidais donc de prendre un job pour leur faire croire que j’étais redevenue « sage et sérieuse », même si le bar dans lequel je travaillais était plutôt sordide. Mais ce travail ne m’empêcha pas de continuer à dealer et accru même ma vente, puisque je réussissais à en vendre à certains clients.

Je pense pouvoir dire qu’entre la petite fille fragile que j’étais il y a quatre ans et la femme que je suis maintenant, il y a un fossé gigantesque. Entre la sainte nitouche et la dealeuse, un fossé s’est creusé. Mais ça, vous l’aviez remarqué non?